• Autopsie des tentations (chapitre 1)

     

    Autopsie des tentations (chapitre 1)

     

     

    Il y a bien longtemps que l’envie est en moi, mais je n’ose pas.

    En fait, je me demande si j’ai un tant soit peu de talent pour me permettre d’y arriver.

    J’ai bien eu quelques idées, mais cela est toujours un peu court pour arriver à quelque chose de complet et qui tienne la route.

    Ecrire est un plaisir, un besoin, une sorte de soulagement, mais de là à pondre un roman, il y a surement des règles, des obligations que je ne maitrise pas.

    Mais ce constat, ne m’empêche nullement de m’installer régulièrement au-dessus d’une feuille blanche et de poser les mots qui me viennent à l’esprit.

    Probablement ai-je le secret espoir qu’un jour, comme par magie, les mots s’enchainent et finissent par me permettre d’aboutir à l’œuvre de ma vie.

    Toujours est-il qu’aujourd’hui, est un jour comme tant d’autres et ne déroge pas à la règle des mots qui se déposent sur une page immaculée, comme ils me viennent en tête.

    Le temps est radieux, alors j’ai décidé de poser mon écritoire sur la table du jardin et c’est sous le chant des oiseaux et à l’ombre du cerisier que cette page, est de moins en moins blanche.

    Tiens ! On sonne à la porte !


    « Bonjour ! »

    « Bonjour ! Vous désirez ? »

    « Vous ne me reconnaissez pas ? »

    « Pardon ? On se connait ? »

    « Oui ! Enfin, non ! Pas vraiment ! Pas encore en fait ! »

    « Vous pourriez être plus clair, s’il vous plait, parce que là, je suis perdu ! »

    « Puis-je entrer ? Je vais tout vous expliquer ! »


    Me voilà, donc avec ce charmant jeune homme sur mes traces, contournant la maison, et lui proposant un siège autour de la table de jardin.

    C’est intriguant, j’ai comme une impression de déjà vu, mais je n’arrive pas à le situer.

    Il est assez grand, mince, un visage d’ange souligné par ses longs cheveux blonds impeccablement coiffés, en fait, il est beau.

    Je le connais surement, mais pourquoi, je n’arrive pas à me souvenir de lui ?


    « Asseyez-vous ! Vous voulez un peu de café ? »

    « Volontiers, merci ! »

    « Vous voulez du sucre ? »

    « Non, merci ! »

    « Ah ! Vous le prenez noir, comme moi ! »

    « Oui ! Mais c’est normal ! »

    « Comment ça ? C’est normal ? Qu’est-ce qui est normal ? »

    « Que je le prenne comme vous ! »

    « Il va falloir que vous m’expliquiez, parce que là je suis perdu ! »

    « Vraiment, vous ne savez pas qui je suis ? »

    « Non, je vous l’ai dit ! Eclairez-moi ! »

    « Je suis Max ! »

    « Enchanté Max, mais cela ne m’aide pas pour autant ! »

    « Pourtant vous devriez me connaitre par cœur ! »

    « Pardon ? »

    « C’est pourtant vous qui m’avez mis au monde ! »

    « Vous devez confondre, je ne suis pas médecin ! »

     « Ah ! Ah ! Vous êtes drôle ! »

    « Si vous le dites. Mais je ne comprends rien à ce que vous me racontez ! »

    « Vous êtes mon père ! Mon créateur ! »

    « C’est impossible ! Si vous envisagez de m’escroquer, sachez que vous n’y parviendrez pas ! »

    « Ah ! Ah ! Mais pas du tout ! Mais c’est un fait établi, vous êtes mon père ! »

    « Je vous dis que ce n’est pas possible. Je n’ai pas l’intention de vous confier les détails de ma vie qui font que je suis sûr de moi, mais croyez-moi, je ne peux pas être votre père ! »

    « Moi, je vous assure que si. C’est vous qui m’avez fait tel que je suis ! »

    « Je suis dans un rêve ou un cauchemar et je vais me réveiller ! »

    « Non, vous êtes dans la réalité ! Enfin, dans votre réalité ! »

    « Comment ça ? Dans MA réalité ? »

    « C’est vous qui tenez la plume, c’est donc VOTRE réalité ! »

    « Attendez ! Laissez-moi réfléchir ! »

    « Ca y est ! Vous avez compris ? »

    « Si je comprends bien, vous êtes en train de me dire que je vis quelque chose d’impossible ! »

    « Rien n’est impossible quand c’est la plume qui mène la danse ! »

    « Pourtant cela paraît tellement réel ! »

    « Mais ça l’est ! »

    Ce garçon est étonnant, je ne sais pas ce qui me pousse à ne pas le jeter dehors.

    Il est beau et attirant, certes, mais il y a autre chose.

    Comme une espèce d’aura qui émane de lui, un truc indéfinissable qui me fait penser qu’il a beaucoup à m’apprendre ou à me donner, je ne sais pas.

    Pourtant, ce qu’il me raconte est totalement improbable, mais je ne peux m’empêcher d’y croire.

    J’ai l’impression que nous avons quelque chose à vivre ensemble.

    Je suis un peu perdu.


    « Vous vous remettez de vos émotions ? »

    « Euh ! Excusez-moi, mais vous comprenez que j’ai du mal à tout appréhender ? »

    « Ca doit être normal ! Mais je n’en sais pas plus que ce que vous m’avez appris ! »

    « Essayons d’y voir clair ! Racontez-moi votre passé ! »

    « Je n’en ai pas ! Enfin, si, je dois en avoir un, mais vous ne me l’avez pas encore appris ! »

    « Jusque là vous êtes cohérent ! Et qu’envisagez de faire maintenant ? »

    « C’est à vous de me le dire ! »

    « Donc, vous maintenez que vous êtes mon personnage ? »

    « Que voulez-vous que je sois d’autre ? »

    « Je ne sais pas ! »

    « Vous m’avez créé ! A vous de me faire vivre maintenant ! Il me parait difficile de passer tout un roman à discuter autour de la table de jardin, sur laquelle vous avez posé votre écritoire ! »

    « Oui, cela va sans dire ! Mais comprenez que cela est si soudain ! »

     

    Ce garçon est merveilleux.

    Il ressemble à un ange et sa façon de s’exprimer est extraordinaire.

    Je pourrais l’écouter pendant des heures.

    Je crois même qu’il serait capable de rendre crédible aux yeux de n’importe quel scientifique la plus fausse de toutes les vérités.

    Je ne sais pas quoi penser de tout cela.

    Que dois-je faire maintenant ?

    Il y a tant de questions qui me viennent en tête.

    Il est entré dans ma vie depuis un peu plus d’un quart d’heure et voilà que je suis en train de réfléchir à tout ce que cela va avoir comme répercussions.


    « Que vais-je bien pouvoir faire de vous ? »

    « Ce que vous voulez ! Seules les limites de votre imagination peuvent vous arrêter ! »

    « Vous en êtes sûr ? »

    « Je le crois en effet ! »

    « Donc, si je décide que vous soyez nu, par exemple, vos vêtements vont disparaitre ? »

    « Essayez ! Et vous verrez bien ! »

    « Cela ne vous dérangerait pas de vous retrouver nu devant moi ! »

    « A vous de choisir si je dois me sentir gêné ou pas ! »

    « Bien ! Commençons donc par vous imaginer complètement nu alors ! »

     

    Qui aurait pu me dire, ce matin lorsque je me suis réveiller que mon personnage apparaitrait ainsi dans ma vie ?

    Je ne me savais pas si doué pour imaginer un garçon aussi merveilleusement dessiné.

    Un corps gracieux à la peau lisse comme celle d’un bébé.

    Une belle musculature pas trop développée, juste ce qu’il faut pour lui dessiner quelques tablettes sur le torse, sans trop en faire.

    Je me demande si ce personnage n’est pas le reflet du prince charmant que j’attends depuis si longtemps.


    « Comment vous sentez-vous ? »

    « Comme tout à l’heure ! A ma place simplement ! »

    « Et que vous soyez nu, ne vous fait rien ? »

    « Ca devrait ? »

    « Si j’étais égoïste, je dirais que vous devriez vous sentir un peu gêné, mais seulement si vous vous retrouvez nu devant d’autres que moi ! »

    « Dois-je en déduire que je vous plais ? »

    « Forcément, puisque je vous ai imaginé comme le plus parfait des princes charmants ! »

    « Donc, nous allons vivre une histoire d’amour ? »

    « Je ne sais pas ! Cela vous plairait ? »

    « C’est vous qui décidez ! Moi, je ne vis que par vous ! »

    « Arrêtez d’être aussi tentant ! »

    « Mais, je ne fais que ce que vous me faites faire ! »

     

    Mais que m’arrive-t-il ?

    J’ai toujours voulu écrire une histoire, mais je n’ai jamais envisagé de m’utiliser moi-même comme personnage.

    Et là, je me retrouve face à mon personnage qui ne demande qu’à ce que je lui donne une vie et qui me pousse à faire de mes rêves une réalité.

    Que vais-je bien pouvoir faire maintenant ?

    Un garçon aussi sublime, je n’ai qu’une envie, c’est d’en tomber amoureux avec l’espoir qu’il succombe lui aussi.

    Mais ce corps magnifique ne fait qu’exciter mes hormones et je n’arrive pas à me concentrer sur autre chose qu’une envie purement bestiale et physique de me rouler avec lui dans la luxure.


    « Habillez-vous ! Cela me perturbe de trop ! »

    « Donnez-moi de quoi m’habiller ! »

    « Remettez les vêtements que vous aviez en arrivant ! »

    « Mais je n’ai plus de vêtements !

    « Ils ont disparus ? »

    « Oui ! Vous m’avez imaginé nu ! Vous ne m’avez pas déshabillé ! »

    « Ah ! Il faut donc que je vous trouve des vêtements ! »

    « Sauf si vous voulez que je reste nu ! »

    « On dirait que cela vous plait d’être nu ! »

    « Ce qui me plairait c’est qu’il se passe quelque chose ! Parce qu’après tout, vous ne m’avez pas créé pour rester là dans votre jardin ! »

     

    Cela va trop vite pour moi !

    Je n’ai pas défini de contexte, je ne sais même pas ce qui va lui arriver !

    Parce que les vêtements que je vais lui donner, vont être révélateurs de beaucoup de chose, sur lui, son environnement, son époque.


    « Mettez donc un peignoir ! »

    « Je me fais penser à un acteur dans sa loge, attendant l’habilleuse ! »

    « Oui ! C’est exactement cela ! Sauf que je ne sais pas encore quel est votre rôle ! »

     

    Tout est chamboulé.

    Normalement, un acteur commence par passer une audition, puis il apprend son rôle avant de le jouer.

    Là, je me retrouve à devoir écrire un rôle pour un acteur imposé qui attend dans sa loge.

    Tout ça, va trop vite pour moi.

    En plus, si j’ai bien compris, il ne m’aidera pas dans les choix à faire.

    Il va falloir que je décide seul de tout.

    Je partirais bien dans une merveilleuse histoire d’amour entre lui et moi, mais cela a déjà du être écrit par d’autres.

    Alors que vais-je bien pouvoir faire de lui ?

    Moi, qui rêve depuis toujours d’écrire un roman, je me retrouve avec un personnage près à tout pour moi et je suis incapable d’en faire quoi que ce soit, à part l’objet de mes désirs.


    « Que savez-vous faire ? »

    « Tout ce que vous déciderez ! »

    « Il n’y a rien que vous ayez envie de faire ? »

    « Donnez-moi des envies ! »

     

    Il n’y a rien à espérer de lui à part qu’il fasse mes quatre volontés.

    Encore faudrait-il que j’ai des volontés à lui faire faire.


    « Je vous abandonne quelques minutes, j’ai besoin de me servir un verre de quelque chose de plus fort que du café ! »

    « Vous allez me donner un verre à moi aussi ? »

    « Non ! Je préfère que vous gardiez tous vos sens intacts ! Par mesure de sécurité ! »

    « Comment ça ? Je vais courir un risque ? »

    « En vérité, j’ai terriblement envie de vous ! Alors, je veux que vous soyez capable de résister à mes avances si jamais l’alcool me faisait perdre toute dignité ! »

    « Je ne comprends pas ! Vous avez envie de moi et vous ne voulez pas que nous vivions une belle histoire ? »

    « Si j’en serai heureux, mais je ne suis pas sûr que cela sois raisonnable ! »

    « Parce qu’un roman doit être raisonnable ? »

    « Non, ce n’est pas ce que j’ai dit ! Mais où cela nous mènera-t-il ?

    « Où vous le déciderez ! »

    « Mais arrêtez ! Je vais finir par craquer ! »

    « Où serait le mal ? Puisque vous en avez envie et qu’il vous suffit de m’en donner envie ! »

     

    Mais que m’arrive-t-il ?

    Est-ce la folie qui me gagne ?

    Il faut que je garde les pieds sur terre.

    Il est un pur produit de mon imagination, je ne peux donc pas en faire une réalité.

    Il est tellement celui que je cherche depuis si longtemps que j’ai peur d’en faire une fausse réalité.

    J’ai tellement l’impression que derrière ses mots, il essaye de me pousser à trouver le bonheur auprès de lui.

    Pourtant, ce n’est pas possible, puisqu’il n’a aucun but, si ce n’est celui que je pourrais lui donner.

    Comment en suis-je arrivé là ?

    C’est vrai qu’il me serait facile, de nous créer une belle histoire d’amour, mais j’en arriverais vite à des banalités lassantes qui n’auraient rien d’originales.

    Non pas, que j’ai la prétention d’être capable de pondre un roman exceptionnel, mais je voudrais éviter de tomber dans un roman à l’eau de rose.

    Peut être devrais-je essayer d’en faire une espèce de mousquetaire ?

    Il faudra que je me documente pour éviter tout anachronisme, mais vu son allure, il serait surement très élégant dans une tenue de mousquetaire, avec une plume dépassant de son chapeau et une épée accrochée à la ceinture.


    « Et si je faisais de toi un mousquetaire ? »

    « Si c’est ce que vous voulez ! Mais vous ne me vouvoyez plus ? Dois-je également vous tutoyer ? »

    « Je ne sais pas, cela m’est venu comme ça ! Ca te dérange ? »

    « C’est vous qui décidez ! »

    « Tu ne pourrais pas t’impliquer un peu ? Plutôt que de chaque fois, me renvoyer à des décisions que je devrais être seul à prendre ! »

    « Je veux bien, mais il faut que vous disiez comment faire ! »

    « Attends ici, je reviens ! »

     

    Mais où est-il ?

    A, B, C, D, De, Du, Dumas !

    Le voilà !

     

    « Tu sais lire ? »

    « Seulement si vous avez choisi que je sache lire ! »

    « Bon, alors tu sais lire ! Et tu vas lire ceci ! »

    « Les 3 mousquetaires, d’Alexandre Dumas ! »

    « Oui et je veux que tu te fasses ta propre opinion et que tu me dises une fois que tu auras fini, si ça te plairait que je fasse de toi un mousquetaire ! »

    « Je dois répondre tout de suite ? »

    « Il faut que tu le lises avant ! »

    « Mais il vous suffit de décider que je l’ai lu pour que je puisse connaitre cette histoire ! »

    « Hé bien ! Non, tu ne l’as pas encore lu ! Je vais t’installer dans la chambre d’ami et tu vas prendre le temps de le lire ! »

    « Je dois commencer tout de suite ? »

    « Comme tu veux ! »

    « Mais je ne sais pas ce que je veux ! »

    « Et bien, prends le temps et choisis toi-même le moment où tu commenceras à lire ! »

     

    Au moins maintenant, j’ai un peu de temps pour assimiler ce qui se passe dans ma vie et y remettre un peu d’ordre.

    Comme si je pouvais gérer la vie de ce merveilleux garçon !

    J’ai déjà du mal à me gérer moi-même.


    « Viens, je vais te montrer ta chambre ! »

     

    Je vais le mettre dans la chambre au premier étage. La chambre bleue ciel.

    Elle s’harmonisera parfaitement à la couleur de ses yeux.


    « Voilà ! Fais comme chez toi ! »

    « Merci ! »

    « Je vais préparer le déjeuner ! »

    « Et moi ? »

    « Fais ce que tu veux ! »

     

    Mais pourquoi ai-je imaginé un personnage aussi beau, le savoir dans la chambre juste au-dessus est une torture, d’autant qu’il me suffirais de le vouloir pour qu’il devienne l’homme parfait que j’attends depuis si longtemps pour faire mon bonheur.

    Il faut absolument que j’arrive à penser à autre chose.

    Voyons voir, ce que je vais préparer pour le déjeuner.

    Vu qu’il fait beau, ça serait peut être une bonne idée de faire un barbecue.

    Qu’est-ce que j’ai au réfrigérateur qui ferait une bonne grillade ?

    Des blancs de poulet !

    Il doit aimer ça le poulet, tout le monde aime le poulet.

    Suis-je bête ! Il faut que j’arrive à intégrer que de toutes façons il aime ce que je lui dis d’aimer !

    Très bien, je vais les faire mariner.

    Quelques patates roulées dans l’alu et cuitent dans la braise, avec du beurre et de la fleur de sel, ça va être un festin digne d’un roi !

    Je vais allumer le feu et puis je m’occuperais de la nourriture le temps que les braises soient à point.

    Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de lui ?

    Il va me falloir lui trouver une histoire, un passé, une époque.

    Tout cela est si soudain.

    Au moins quand on attend un bébé on a le temps de se préparer, mais là, il me tombe dans les bras et je ne suis pas prêt.

    A part, être tenté d’en faire un amant merveilleux, je n’ai pas d’idée.

    Mais je ne peux décemment pas partir sur ce genre de projet.

    Pourtant, quelle merveilleuse histoire je pourrais vivre avec lui.

    On commencerait par se séduire, se faire la cours, il ne faudrait pas longtemps pour que je succombe à son charme, puisque je suis déjà totalement amoureux de ce garçon.

    Il est tellement parfait.

    Non, non et non, il faut que j’arrête !

    Je vais tourner maboule !

    Où est la planche à découper, je vais faire des brochettes de poulet marinées, ça va m’occuper les mains et l’esprit, enfin je l’espère.


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